Il existe deux acceptions au mot libertin (du latin libertinus, esclave qui vient d’être libéré. libertinus signifie affranchi) :
dans sa version d’origine, le libertin est celui qui remet en cause les dogmes établis, c’est un libre penseur (ou libertin d’esprit) dans la mesure où il est
affranchi, en particulier, de la métaphysique et de l’éthique religieuse ;
le sens qui prévaut de nos jours et qui est largement galvaudé, se réfère au libertin de mœurs, c’est-à-dire celui qui s’adonne aux plaisirs charnels avec une liberté qui dépasse les limites de
la morale conventionnelle et de la sensualité bourgeoise normale, mais aussi, avec un certain raffinement cultivé.
Libertinage intellectuel
Relecture des théories du philosophe grec Épicure, le libertinage est un courant de pensée né au XVIe siècle, développé en Italie (Cardan, Paracelse, Machiavel) et qui débouchera au XVIIIe siècle sur la notion de raison critique des philosophes.
Matérialistes, les libertins considèrent que tout dans l’univers relève de la matière, laquelle impose, seule, ses lois. Ils estiment donc que la compréhension du monde relève de la seule raison, reniant, pour beaucoup, la notion de créateur.
Alors que la monarchie française repose sur une légitimité divine, on comprend facilement la menace que pouvaient représenter des individus se voulant indépendants de toute règle imposée du dehors par la morale ou la religion, établie par l’Église, l’État ou la Tradition. Ce d’autant que les libertins appelaient de leurs vœux l’apparition d’une société reposant sur le mérite (et non les privilèges), dans un esprit de justice et d’entente sociale.
Si l’on ne retient aujourd’hui volontiers que l’aspect sensuel et vaguement immoral du libertinage, ce rejet d’une morale fondée sur la vertu n’est finalement que la conséquence de leur philosophie : l’absence de Dieu légitime l’envie de jouir de sa vie terrestre et cette quête, qui ne se fera néanmoins pas au mépris d’autrui, est le but ultime.
Parallèlement à ce mouvement se développe une école du doute : un courant de pensée né en Italie remet en question la science s’appuyant sur Aristote et figée par les dogmes religieux (thomisme). Une réflexion naît sur les rapports entre la foi et la raison. Les découvertes géographiques ébranlent le dogme de l’univers chrétien au centre du monde. La redécouverte des chefs-d’œuvre païens démontrent que l’art et la beauté peuvent exister en dehors de toute référence chrétienne. Les découvertes scientifiques mettent en contradiction le fait scientifique et le dogme religieux. Les perturbations politiques et les conflits religieux affaiblissent la confiance que l’on peut avoir envers des dirigeants religieux.
D’abord développées au grand jour avec des écrits comme ceux de Pierre Gassendi (1647) réhabilitant la philosophie d’Épicure et ouvrant la voie au libertinage de mœurs, ces idées se font plus discrètes après la condamnation de certains libertins à la mort (le philosophe Jules César Vanini périt sur le bûcher en 1619), à l’emprisonnement ou à l’exil.
Les théoriciens du libertinage
Vers 1615, un groupe de poètes athées (Boisrobert, Tristan L'Hermite, Saint-Amant et Théophile de Viau) forment une société secrète. Ils se considèrent comme des « antéchrists » et diffusent des œuvres anonymes défendant leurs thèses.
On les considère à l’époque comme des sorciers.
Gassendi : De vita et moribus Epicuri, 1647.
Gabriel Naudé : Apologie pour les grands personnages soupçonnés de magie, 1625.
La Mothe Le Vayer : Discours, 1655. Traités, 1662. Dialogues, 1669.
Le roman libertin du XVIIIe siècle
Difficile de parler d’écriture libertine sans
évoquer les auteurs de romans libertins comme Crébillon, Sade ou Laclos, autant d’auteurs appartenant au siècle dit « des Lumières ». Pourtant
des auteurs considérés comme « libertins » semblent se faire connaître dès le XVIe siècle, mais moins pour leurs œuvres que pour l’esprit frondeur qu’ils y instillaient. Ainsi, des historiens
humanistes étaient taxés de « libertinage » de par leurs travaux qui remettaient en cause l’histoire officielle souvent complaisante envers la monarchie et ses représentants les plus
influents.
C’est donc bien au XVIIIe siècle que l’écriture libertine à proprement parler prend une toute autre dimension. Elle met en scène, à travers le roman, une liberté de penser et d’agir qui se caractérise le plus souvent par une dépravation morale, une quête égoïste du plaisir. Des œuvres majeures comme les Liaisons dangereuses de Laclos ou encore Les Égarements du cœur et de l'esprit de Crébillon fils, ont introduit de nouveaux codes, une nouvelle façon de penser, d’écrire et de décrire le libertinage. La vie en société est présentée comme un jeu de dupe dont les libertins maîtrisent à la perfection les codes et enjeux. La séduction y est un art complexe que l’on entreprend par défi, désir ou amour-propre. La femme est identifiée comme une proie à « entreprendre », qui finit plus ou moins rapidement par céder devant son « chasseur ». On retrouve bien souvent, prodiguée par un libertin, une initiation au sexuel, au cynisme, au comportement à adopter en société, destinée à celui ou celle qui devra lui succéder dans ses préceptes. L’expression choisie est fine, raffinée, souvent allusive, tranchant avec une littérature dite licencieuse.
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