Le blog de go crazy !!!

J'apprécie la littérature érotique, celle des libertins, quand elle ne parle pas que de cul, quand elle a un message à déliver, quand, en soulevant le voile, on peut y voir le souffle de la liberté, l'arrogance, le défi, et le rejet des dogmes.
Pour celà j'apprécie Sade à sa juste valeur. J'ai ri avec la philosophie dans le boudoir, et je me pinçais le nez avec les 120 jours de sodome, mais chaque fois, je voyais bien où il allait.
Et puis un jour je suis tombé sur Dies Irae de Charles Bosersach, déroutant, comme les 120 jours. Cru, agressif, violent. Au début je pensais trouver là un plagiat des 120 jours, mais ça n'en demeurait pas moins fascinant alors je me suis intéressé au personnage.

Charles Bosersach est un écrivain d'origine Bosniaque né en 49. on sait peut de choses sur lui, le personnage communique peu. Mais il tient son journal en ligne depuis 2001, de manière tout à fait passionnante.

Voici donc une interview de Bosersach par  dibp, vendredi 17 novembre 2006 à 14:26 :: 

J'ai rencontré Charles B. sur le net. Pas le Charles B. de la Beat Generation, non, l'autre (comprendre " l'autre génération " si vous voyez ce que je veux dire, et si vous ne voyez pas vous pouvez alors sortir dès à présent : il ne me parait pas utile que vous vous fassiez du mal outre-mesure, quoiqu'il me semble que " vous faire du mal " pourrait bien ne pas déplaire totalement aux personnages de Charles Bösersach). Nous nous sommes croisés, donc, hasard aidant, sur nos sites web respectifs. Echange d'amabilités. Pour être tout à fait franc, au premier contact avec les écrits de C.B., je suis resté un  peu perplexe, voire un tantinet agressé : mon éducation judéo-chrétienne, sans doute. Celle-là même qui m'empêche d'être dès aujourd'hui un futur ex-apostase parce que si dieu n'existe pas pour moi et pour le moment, ma mère, elle, existe bel et bien. Me pardonnerait-elle mon renoncement ? Tiens, j'évoque le pardon, et au conditionnel s'il vous plait. Merde. Education judéo-chrétienne. Mais nous n'en sommes pas là (d'ailleurs je ne suis pas sûr de bien savoir où nous en sommes, mais est-ce bien important ?) Echange d'amabilités, donc : si le sujet m'agresse, le style Bösersach m'accroche, et quelqu'un qui écrit " Dandy : se resservir un fond de Château Margot — pour y éteindre son clop " me plait. En savoir plus. Je l'imagine en Piccoli. Canapé (velours de couleur bordeau). Grand vin. Musique de chambre. Se pourrait-il qu'il soit nu ? A son sexe, comme un étui pénien infernal, un piercing humain, une fille maigre, la ferraille et la soie aux jambes, s'agite bruyamment et Charles, entre deux questions, poliment, la gratifie (la flatte) d'une brève caresse sur la nuque...


Charles Bösersach, vous êtes d'origine balkanique, né en 1949 : quelles sont plus précisément vos racines ? Quelle est, brièvement, votre histoire ?

Je répondrai peu, et mal à cette question. D’abord parce que je n’y tiens pas et puis la mémoire est brouillée et j’ai du mal — mais le veux-je vraiment ? — à démêler le vrai des mythologies familiales. Mes racines se situent quelque part en Bosnie-Herzégovine mais je ne suis pas même certain de connaître mon véritable lieu de naissance.
Et aujourd’hui ? Où vivez-vous ?

Entre Paris, Lyon et Toulouse…
Entrons dans le vif du sujet : le sexe. Vous oeuvrez, avec quelques beaux succès, dans le domaine de la littérature érotique. Qu'est-ce qui, enfant peut-être (tiens, oui, c'était quand ?), du sexe ou du texte, vous a d'abord intéressé ?

Le langage très tôt m’a paru un matériau intéressant. Mon père, quoiqu’inculte (ceci n’est pas péjoratif) aimait jouer avec les mots.
Ensuite, il y a, je crois, le goût du papier, des stylos, de la papeterie. Mon père (encore lui) fut un temps livreur en papeterie et il y avait toujours, à la maison, du papier, des cahiers…

Le sexe, ça n’est pas la bonne entrée. La pornographie (production — écrit, dessin, peinture, photographie, film, spectacle — visant à provoquer l'excitation sexuelle, comme on dit) oui.

Très tôt (comme tous les gamins). Mais avec une espèce de torsion qui me laissait penser (à tort ou à raison) qu’il y avait derrière " tout ceci " une sorte de vérité.

J’ai écrit ça un jour :
" Je ne connaissais pas Rachel, mais je savais que toutes les photographies concernaient la même femme, et qu'elles étaient le fruit d'une fascinante communion, d'un labeur repris incessamment, comme le signe d'une impossibilité quant à parvenir exactement à la solution recherchée. Peut-être l'ensemble de cette collection s'en approchait un peu. Mais chacune des photos, pour réussie qu'elle soit — et toutes étaient techniquement superbes —, n'était que l'aveu d'une impossibilité, d'un échec obligé. ", et ceci aussi :

" Cela fait des années que je rassemble des preuves. Je n’ai pas vu passer le temps. Je ne pourrai jamais — personne ne pourra jamais — rassembler toutes les preuves. L’ensemble des preuves pourrait former une évidence. Mais l’ensemble des preuves c'est l’ensemble du monde. Ça ne prouverait rien. Outre que je ne sais pas exactement ce que sont supposées prouver ces preuves. Je ne rassemble pas : je collectionne. Si je n’avais pas le dégoût d’utiliser une image, une métaphore éculée je dirais " je collectionne les grains de sable du désert ". Je collectionne les déserts. Comme si mon épiderme s’épaississait et s’insensibilisait à mesure que croît ma " collection ". Je suis aujourd’hui incapable d’en donner le nombre. Pas plus que la nature. Des — âmes ? Des bribes de " vérité ", contradictoires, incohérentes. J’examine les preuves, et puis je les détruis. Elles ne servent à rien. Je n’ai pas tenu de journal. Au début je trouvais qu’il n’y avait rien qui vaille la peine d’être noté. Aujourd’hui je croule sous les " idées ". Elles me navrent, m’envahissent. Nuisent.  La machine à fabriquer des preuves fonctionne en permanence. Seul je ne pourrai jamais en venir à bout. Combien sont-ils (elles), de l’autre côté, qui inlassablement fabriquent des preuves ? Pas même de fausses preuves (à quoi bon ?) non : c’est le nombre, la quantité, le volume qui garantissent leur impunité. Tout simplement. "

Et enfin ceci : " c’étaient de petits personnages schématiques… une armée inexpérimentée… ils allaient de gauche à droite, toujours. J’avais acquis une dextérité, une habitude… et les bonshommes s’étaient simplifiés. Je commençais doucement (mais j’étais déjà très troublé). C’était comme une envie de faire pipi. Je me tortillais, je serrais les jambes. Et puis cela commençait : ils tombaient dans un ravin (ils avançaient comme des lemmings)… j’ai joué à ça avec des graviers aussi, depuis le pont au-dessus de la rivière : pousser tout doucement les petits cailloux, qui étaient des prisonniers. J’étais sans pitié, une sorte de Dieu mauvais. Tout ce que je pouvais concéder c’était de ralentir le processus : pousser très lentement, laisser le petit caillou en équilibre instable sur le bord du parapet… je les regardais tomber, c’était délicieux, délicieux, je ne me lassais pas… " et ce n’est pas — de mon point de vue — sans lien.

Mais le fil, le vrai (?) fil c’est l’équilibre instable : où commence la pornographie, où commence la littérature ? J’ai l’orgueil de penser que mon travail est davantage littéraire que pornographique, mais c’est cet objet qu’il m’est nécessaire de réexaminer sans cesse pour avoir envie (besoin ?) de m’y coltiner.
La pornographie serait donc la matière première, et la littérature, l’écrivain, c’est à dire vous-même, l’outil qui produit cette matière première. On a là une sorte de mouvement perpétuel, un circuit (heureusement non, presque) fermé. Le " mystère " que vous semblez associer à tout ceci, c’est la part de l’enfant qui est en vous ?

Pas si simple. La pornographie serait l’énergie, le défi (la libido, quoi). Qui permet (nécessite de) de produire le texte. Le texte est une tentative de résolution. Forcément inaboutie (sinon on arrêterait d’écrire).

La part de l’enfant oui, pour ses explications non rationnelles du monde. Dans l’imaginaire d’un enfant, comme dans celle d’un véritable écrivain, il n’y a pas de censure ; tout est possible. La (seule ?) limite réside dans le pacte de lecture. Et puis : ludique.

Je reviens là-dessus (le mystère). Sans doute. Enfant, je ne comprenais pas grand-chose au monde. J’avais bien quelques explications, mais elles ne tenaient pas. Pourtant je les aimais bien. Je les préférais, même. Donc : mystère, certes, mais pas seulement pour le sexe.

Je reviens sur le début de votre question : l’écrivain (dont on se contrefiche) produit, par un mic-mac obscur et qu’il n’est pas forcément nécessaire de décortiquer, quelque chose qui le dépasse. Un objet. Un texte. Qui s’ajoute aux choses du monde. La plupart des artistes sont des personnes peu intéressantes, voire peu fréquentables ; au mieux : anodines (et pourquoi en serait-il autrement ?). Mais leur production, c’est autre chose.
Et la Femme dans tout ça ?

La vraie ? ou le matériau utilisé dans le texte ? Ne me prenez pas pour un naïf : je connais les poncifs avec lesquels je joue. Vous avez mis une majuscule, c’est donc le concept.  Dans cet univers — le mien pour l’écriture —, la Femme est à la fois moteur et combustible. Sans elle rien ne se passe, rien ne peut arriver. Elle met le désordre. (Re)lisez Dies Irae : un monde obsédé par l’ordre, l’organisation, la stratification. Et pourtant le désir — si noir soit-il — est toujours là et — même si la Femme en fait les frais — c’est ce désordre, même minuscule, qui est fécond.
Fécond, tiens…
" Fécond " : jeu de mots ?

Pas vraiment non.
Fécond, vous l’êtes, dit-on. Vous thésaurisez toujours autant ? Ca vous rend heureux ou malheureux ce besoin de produire ?

J’écris tout le temps. Pas forcément beaucoup. Et pas forcément sur papier. J’écris dans ma tête aussi ; je laisse perdre. Ça n’est pas grave (finalement). Juste le plaisir de ciseler une petite phrase, d’en apprécier l’équilibre, la musique — et puis j’oublie.
Le prochain Bösersach est pour bientôt ?

Je ne sais pas, j’ai une proposition pour 2007, mais je n’ai pas bien réfléchi… La publication de Dies Irae (plus de dix ans de travail) m’a libéré (soulagé). Publier n’est plus aussi " nécessaire ".
Votre œuvre n’est pas uniquement pornographique, il y a un univers Bösersach, un peu sombre mais pas dénué d’humour (cynique). Quels sont vos héros, si tant est que vous ayez des héros, des modèles ?

Pour citer des écrivains : Henri Michaux, pour le style, la pensée fulgurante. Kafka. Et puis, plus dans le registre, quelques ouvrage (plutôt que des auteurs) : Le château de Cène (Bernard Noël), Léautaud pour son côté vieux con et pour Correspondance. Bataille, " forcément " ; Sade parfois ; Histoire d’O qui est un très beau livre, sous-estimé ; Calaferte pour sa mécanique ; l’homme assis de Duras ; Louÿs, évidemment ; Tony Duvert ; Lourdes, lentes (de Hardelet, je crois) ; Les états du désert de Marc Cholodenko et surtout Le Cahier noir de Joe Bousquet… J’en oublie nécessairement. Et puis : Egon Schiele ; Bacon… Ce film : Sombre de Philippe Grandrieux… Mais ce ne sont pas des " modèles ". Des repères, plutôt. Les héros… c’est une espèce misérable non ?
Deux livres encore : Eden, Eden, Eden de Guyotat, et FB, de " Xavière "…
Et déplorer la quantité d’opportunistes qui s’engouffrent dans le " créneau " de la " littérature érotique "…
Vous ne jouez pas forcément " dans la même cour "… Il y a un amalgame du point de vue du lecteur ?

Vous parlez des écrivaillons ? Bah oui, ça fait brouillage. Le vieux con que je suis déplore la démocratisation de la littérature érotique. Et son glissement (qui n’est certes pas plaisir) vers le " tout venant ". Le cul, le vulgaire, la complaisance ; le mal écrit — c’est ça le pire.
Tout tend à être démocratisé, non ? Ne serait-ce que pour des raisons économiques. Il y a toujours eu un ‘mainstream’ et un ‘underground’, des courants, des tribus…

Vous avez — partiellement — raison, sauf qu’aujourd’hui, d’une part il y a moult mainstreams et undergrounds et qu’au bout du compte on ne sait plus très bien (mais est-ce un problème ?) où est quoi, mais également une utilisation de ces strates par le " capital ". La rébellion fait vendre, le décalé fait vendre, le malsain, le malade, le pervers font vendre et par voie de conséquence, à mon sens, instrumentalisés qu’ils sont, ne peuvent être ce qu’ils prétendent.
Et puis : la fugacité.
Je reviens sur " Les héros, une espèce misérable… ". Les perdants seraient-ils magnifiques ? Un rapport avec votre goût prononcé pour les " événements minuscules " ?

J’ai toujours pensé à ces gens qui meurent pour une " noble cause ", la " patrie " par exemple, un concept totalement artificiel à mon sens, et je les trouve disons bizarres ; la vie (la sienne) c'est-à-dire " être au monde " me semble irremplaçable. Quand vous n’êtes plus — de votre point de vue — le monde n’existe plus. Alors à quoi bon ?
Charles Bösersach, épicurien forcené ? Vous aimez les femmes, le vin, la musique : voulez-vous me citer une femme, un vin, une musique qui aient vos faveurs à l’instant ?

Une femme ? c’est la prochaine, l’autre, l’insaisissable ; c’est un instant, une étincelle, une bride de soutien-gorge entrevue, un pas, un rire…
Châteauneuf-du-Pape.
Et Bach (suites pour violoncelle seul).
J’ai lu à propos de vous : " L'art lui semble être une des rares activités dignes de l'être humain ". Ça n’est pas dans l’air du temps…

Sans doute, mais bon, c’est mon opinion… Si vous faites ici allusion à l’hégémonie de l’économique, n’oublions pas que l’ " art " n’est pas hors de ce champ-là, disons qu’au moins, au moins, cela " produit " de l’émotion, parfois…
Je pensais plutôt au retour perceptible du concept " Travail, Famille, Patrie "… Le bien c’est travailler durement, artiste ça n’est pas un métier… Parallèlement on assiste, avec la montée en puissance d’Internet, au phénomène " tout le monde produit, tout le monde publie, tout le monde est artiste ". Un fabuleux outil, malgré tout, non ?

Si si, " artiste " c’est un métier (et chapeau bas) quand ça rapporte beaucoup d’argent. Sinon non. Sinon c’est ridicule… incompréhensible… La TV nous montre bien ça chaque jour.
Pétain revient donc. Merdalors. À propos, saviez-vous que l’épouse du fameux Maréchal était couturière ?
(La Maréchale Pétain coud.)

Le second aspect (tout le monde…)… vous savez, je suis un vieux con ; j’ai le goût de la chose bien faite. Alors, pour ce qui concerne l’écriture, par exemple, ou la poésie, je déplore, profondément, cette démagogie qui donne à donner à penser à n’importe quel trou du cul inculte et paresseux (j’en rajoute, côté goujat, mais c’est tellement bon) qu’il suffit de se proclamer poète (par exemple) et publier quelques pages sur le web pour que cela soit. Le jugement vient des autres (et notamment des pairs) ; le temps doit passer ; l’autocritique, le doute ont besoin de recul. Le temps efface les épiphénomènes, les dissout : ils n’ont jamais existé, au fond.
L’immédiateté est un piège. Qui rejoint (assez vite) le vide, le silence — heureusement.
Un torrent permanent. On regarde l’écume.
Je grogne car je passe pas mal de temps sur l’Internet, à fureter, et misère de misère, la quantité de (il n’y a pas de mots pour qualifier), de merdes, disons, portées par des petites personnes extraordinairement imbues, vaniteuses, égotiques… D’en parler seulement je frémis.
Une dernière question, Charles Bösersach : si après vous le monde n’existe plus, pour quoi (pour qui) écrivez-vous ?

Pour mes pairs, pour le hic & nunc. Pour moi aussi. Mais il semblerait que j’aie besoin d’une petite approbation (qu’on se rassure : elle est fort maigre).

C) 2006 Die Intellektronische Biparietal Projekt et Charles Bösersach
Cette interview est placée sous licence CC-by-nd 2.0 fr


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Mar 23 sep 2008 1 commentaire
merci...
charles b. - le 05/10/2008 à 16h25
De rien mon cher.
gocrazy